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Note juridique à propos des collaboratrices de médecins effectuant des prises de sang et autres actes médicaux

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Il convient de déterminer si l’actuelle Loi sur la Santé (RSGE K 1 03 / ci-après : LS) exige que les collaboratrices de médecins qui effectuent des prises de sang ou d’autres soins médicaux disposent d’un droit de pratique d’assistante médicale ou d’une autre profession de la santé, ou si les collaboratrices non diplômées et formées « sur le tas » peuvent être tolérées.
Après examen attentif des dispositions légales et réglementaires applicables, nous parvenons aux conclusions suivantes:
A. La réglementation des professions de la santé prévue par la Loi sur la Santé :
La Loi sur la santé a été adoptée par le Grand Conseil le 7 avril 2006, emportant abrogation de la Loi sur l’exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical du 11 mai 2001 (ancienne LPS/RSGE K 3 05). Pour l’essentiel, la Loi sur la santé a toutefois repris les principes posés par l’ancienne LPS en matière de réglementation des professions de la santé.
La matière est désormais régie par le chapitre VI de la LS. L’article 71 LS dispose en particulier :

« 1Le présent chapitre s’applique aux professionnels de la santé qui fournissent des soins en étant directement en contact avec leurs patients et dont l’activité doit être contrôlée pour des raisons de santé publique

2Tout soin qui, compte tenu de la formation et de l’expérience requises pour le prodiguer, relève spécifiquement d’une profession soumise à la présente loi ne peut être fourni que par une personne ayant le droit de pratiquer cette profession.

3Le Conseil d’Etat établit périodiquement par voie réglementaire la liste des professions soumises au présent chapitre ainsi que les conditions spécifiques de leur droit de pratique ».

L’art. 71 al. 2 LS réserve aux seuls professionnels de la santé les soins dont l’administration relève de la formation et de l’expérience de ces professions. Il conviendra dès lors de déterminer si les prises de sang, les examens radiologiques ou certains examens de laboratoire typiquement effectués en cabinet médical font partie des soins dont l’art. 71 al. 2 LS réserve l’administration aux professionnels de la santé.
En ce qu’il octroie au Conseil d’Etat la compétence de déterminer par voie réglementaire quelles sont les professions soumises à la loi ainsi que les conditions spécifiques de leur doit de pratique, l’art. 71 al. 3 LS constitue une innovation par rapport à l’ancienne réglementation. A l’époque de la LPS, les professions de la santé avaient en effet été listées par le législateur et figuraient à l’art. 3 LPS.
Se fondant sur l’art. 71 al. 3 LS, le Conseil d’Etat a adopté un Règlement sur les professions de la santé (RSGE K 3 02.01/ci-après : RPS) en date du 22 août 2006. A teneur de l’art. 1 let. b RPS, les assistants médicaux figurent dans la liste des professionnels de la santé soumis au chapitre VI de la LS. On notera que l’ancien art. 3 al. 1 let. b LPS mentionnait déjà cette catégorie de professionnels parmi ceux qui étaient soumis à autorisation de pratiquer.
Selon l’art. 74 LS, « une personne n’a le droit de pratiquer une profession de la santé que si elle est au bénéfice d’une autorisation de pratique délivrée par le département ». En application de l’art. 75 al. 1 let. b LS, cette autorisation de pratique n’est délivrée qu’aux seuls professionnels de la santé qui possèdent les diplômes ou les titres requis en fonction de la profession ou des titres équivalents reconnus par le département. Il convient d’en conclure que les professions de la santé sont définies en droit genevois par l’obligation de disposer d’un droit de pratique.
Selon l’art. 36 RPS, « l’exercice de la profession d’assistant médical est réservé aux titulaires des diplômes d’assistant médical délivrés par une école suisse ou étrangère, reconnus par l’autorité fédérale compétente ». L’art. 37 RPS dispose en outre que « la profession d’assistant médical ne peut être exercée qu’à titre dépendant, uniquement dans le cabinet, sous la responsabilité et la supervision d’un médecin inscrit (al. 1). Les assistants médicaux inscrits ont le droit d’assister un médecin, selon les instructions de ce dernier et sous sa responsabilité, dans des tâches thérapeutiques, techniques et administratives (al. 2) ».
La mention de l’assistance du médecin dans les tâches thérapeutiques et techniques confirme que l’assistante médicale est habilitée à prodiguer les soins, tels la prise de sang, typiquement effectués en cabinet médical. Le fait que l’assistante médicale soit considérée par le RPS comme un professionnel de la santé constitue à notre sens un indice que les soins qu’elle est typiquement amenée à prodiguer font partie des soins visés par l’art. 71 al. 2 LS, lesquels ne peuvent être effectués que par un professionnel de la santé.
Les secrétaires médicales et/ou les infirmières-assistantes, diplômées ou non, ne sont en revanche pas mentionnées dans le RPS et ne sont ainsi pas considérées comme des professionnels de la santé au sens de la LS. Nous présumons – mais cela demande confirmation – que lorsque ces personnes sont au bénéfice d’un diplôme de secrétaire médicale ou d’infirmières-assistantes, leur formation ne comprend pas les prises de sang ni les autres soins typiquement effectués au cabinet médical.

B. L’interprétation de la Loi sur la Santé faite par la Direction générale de la santé

Selon les informations que vous nous avez fournies, plusieurs médecins emploieraient en qualité d’assistantes médicales des collaboratrices ne disposant pas du droit de pratique correspondant, faute pour celles-ci d’être titulaires du diplôme de cette profession. Elles sont en revanche fréquemment au bénéfice de diplômes de secrétaires médicales, voire d’infirmières-assistantes.
La Direction générale de la santé juge ces situations contraires à l’art. 84 LS qui dispose que « le professionnel de la santé ne peut fournir que les soins pour lesquels il a la formation et l’expérience nécessaires » (al. 1), respectivement qu’un professionnel de la santé « ne peut déléguer des soins à un autre professionnel de la santé que si ce dernier possède la formation et les compétences pour fournir ces soins » (al. 3).
En application de l’art. 71 al. 2 LS, elle considère en effet que certains soins administrés dans les cabinets médicaux (tels les prises de sang, les examens de laboratoire ou de radiologie, etc.) sont si spécifiques qu’ils ne peuvent être prodigués que par des professionnels de la santé disposant d’un droit de pratique, c’est-à-dire bénéficiant d’un diplôme ou d’un titre attestant le fait qu’ils ont été spécialement formés pour l’administration de tels soins.
Il reste à déterminer si cette interprétation de la LS par la Direction générale de la santé est critiquable.

C. L’application de la LS préconisée par la Direction générale de la santé peut-elle être critiquée ?

Bien qu’elle apparaisse stricte, la position de la Direction générale de la santé trouve une assise solide dans les dispositions de la LS et du RPS qui régissent les professions de la santé.
Pour des motifs bien compréhensibles de santé publique, le législateur a voulu réserver aux professionnels de la santé l’administration des soins nécessitant une formation et une expérience particulières. Tel est le sens de l’art. 71 al. 2 LS qui soumet en outre les différents membres de ces professions à l’obligation d’obtenir le droit de pratiquer celles-ci.
Le législateur a ainsi défini les professions de la santé comme des professions soumises à autorisation de pratiquer (art. 74 al. 1 LS), tout en exigeant que celle-ci ne soit délivrée qu’aux seuls titulaires des diplômes ou titres correspondants (art. 75 al. 1 let. b LS). En application de l’art. 71 al. 3 LS, le Conseil d’Etat a pour le surplus dressé la liste des différentes professions de la santé, comme il a déterminé « les conditions spécifiques de leur droit de pratique » lesquelles exigent à chaque fois un diplôme ou un titre correspondant.
La systématique légale et réglementaire exclut donc qu’un soin relevant typiquement d’une profession de la santé puisse être administré par une personne ne disposant pas du diplôme ou du titre de cette profession, lequel est considéré comme étant seul susceptible de garantir le minimum de formation nécessaire à l’administration de tels soins.
Or, les prises de sang, les examens de laboratoire ou les examens de radiologie cités en exemple par M. Guinchard sont a priori des soins qui relèvent typiquement des professions de la santé, notamment de la profession d’assistant médical. A notre connaissance, ces soins font précisément l’objet de la formation qui précède l’octroi du diplôme de cette profession.
En bonne application de l’art. 71 al. 2 LS, il paraît donc exclu que de tels soins puissent être administrés par des collaboratrices ne disposant pas du droit de pratiquer cette profession, peu importe qu’elles aient été dûment formées « sur le tas » par le médecin les employant et exercent leurs activités sous la surveillance étroite de celui-ci.
Les secrétaires médicales et les aides soignantes ne sont ainsi pas fondées à administrer de tels soins. Elles ne figurent en effet pas dans la liste des professions de la santé établie par le Conseil d’Etat à l’art. 1 RPS et, à notre connaissance, leur formation ne comprend pas les prises de sang, les examens de laboratoire ou de radiologie. Le fait que le Conseil d’Etat ne les ait pas considérées comme des professionnels de la santé n’est ainsi pas critiquable. Cela ne le serait que si les formations dispensées pour l’octroi de tels diplômes s’étendaient à ce type de soins, ce qui militerait, cas échéant, pour l’inscription de ces professions dans la liste figurant à l’art. 1 RPS.

La position de la Direction générale de la santé à l’égard de ce cas d’espèce consiste ainsi dans une application stricte mais néanmoins correcte de la LS et de son règlement d’application.
On relèvera toutefois que le courrier de M. Guinchard du 18 décembre 2007 ne peut être interprété comme réservant à la seule profession d’assistant médical le droit d’effectuer des prises de sang, des examens de laboratoire ou de radiologie, et ce malgré l’usage du singulier à l’art. 71 al. 2 LS. Ils peuvent à notre sens également être administrés par d’autres professionnels de la santé, dans la mesure où leur formation comprend ces soins. On pense notamment aux infirmières travaillant en cabinet médical (art. 56 RPS – prises de sang et examens de laboratoire), aux techniciens en radiologie médicale (art. 82 ss RPS – examens de radiologie), ou au médecin lui-même. La formation de ces professionnels de la santé s’étend en effet à l’administration de tels soins ou, à tout le moins, à une partie d’entre eux.

D. La constitutionnalité de la clause de délégation législative ancrée à l’art. 71 al. 3 LS peut-elle être contestée ?

Reste à vérifier la constitutionnalité de la clause de délégation législative figurant à l’art. 71 al. 3 LS. Si cet article ne devait pas constituer une base légale suffisante au sens entendu par la jurisprudence, les dispositions du RPS soumettant les assistants médicaux à autorisation de pratique seraient en effet inopposables aux médecins et collaboratrices susmentionnée.
Lors des travaux préparatoires de la LS, deux parmi les nombreuses organisations consultées (Forum Santé et l’Association des physiothérapeutes), ainsi que certains députés, ont demandé à ce que l’ancienne solution, qui consistait à confier au seul législateur le soin de déterminer la liste des professions de la santé soumises à autorisation de pratique, soit conservée et se sont partant opposés à ce que cette compétence soit déléguée au Conseil d’Etat (cf. l’exposé des motifs annexé au PL 9327 déposé par le Conseil d’Etat le 2 juillet 2004, p. 60, le rapport de la Commission de la santé chargée d’étudier le projet de loi du Conseil d’Etat sur la santé du 30 août 2005, p. 12, 18, 54 et la séance 33 du 7 avril 2006 consacrée à l’adoption de la LS par le Grand Conseil, documents disponible sur le site Internet du MGC). Si ces personnes ont contesté l’opportunité politique d’un transfert de compétence en faveur du Conseil d’Etat au détriment du législateur, elles n’ont pas remis directement en cause la constitutionnalité de l’art. 71 al. 3 LS. Elles n’ont pour le surplus pas été suivies par la majorité qui s’est avérée plus sensible à l’argument d’évolution rapide du domaine, avancé par le Département de la santé pour justifier la détermination, par voie réglementaire, de la liste des professions de la santé (cf. l’exposé des motifs annexé au PL 9327 déposé par le Conseil d’Etat le 2 juillet 2004, p. 61 et 92).

Quoiqu’il en soit, la constitutionnalité de la clause de délégation litigieuse ne pourrait que difficilement être contestée, dans la mesure où les quatre conditions fixées par la jurisprudence paraissent réunies en l’espèce (sur ces conditions, voir les développements d’Auer, Malinverni et Hottelier, in Droit constitutionnel suisse, Vol. I., Berne 2000, p. 571, n° 1630 et ss et la jurisprudence citée) : (1) Le droit cantonal genevois n’interdit pas au législateur de recourir au mécanisme de la délégation législative. (2) La délégation se limite à une matière déterminée, à savoir l’établissement d’une liste de professions de la santé soumises à la LS et la détermination des conditions spécifiques de leur droit de pratique. (3) Elle figure dans une loi au sens formelle (art. 71 al. 3 LS). (4) Tout en habilitant le Conseil d’Etat à restreindre la liberté économique, le législateur a enfin indiqué l’objet, le but et l’étendue de la compétence déléguée. La délégation porte sur les professions de la santé à soumettre à la surveillance des autorités et les conditions spécifiques de leur droit de pratique (art. 71 al. 3 LS). Son but consiste à pouvoir contrôler les activités qui ont des incidences sur la santé publique (art. 71 al. 1 LS), tandis que la notion de professions de la santé est circonscrite à l’art. 71 al. 1 LS comme étant celles où des soins au sens de l’art. 2 al. 2 LS sont fournis à des patients par des personnes entrant directement en contact avec eux.

Force est donc d’admettre que la compétence du Conseil d’Etat d’établir comme de réviser la liste des professions médicales figurant à l’art. 1 RPS dispose d’une base légale suffisante en l’art. 71 al. 3 LS.

E. Les sanctions susceptibles d’être encourues en cas d’infraction à l’obligation de disposer d’un droit de pratique

Dans la mesure où la Direction générale de la santé apparaît déterminée dans sa volonté d’appliquer strictement les dispositions de la LS et du RPS sur le droit de pratique, et où aucun argument juridique solide ne permet de s’y opposer, il paraît utile de rappeler les risques encourus par les médecins et leurs collaboratrices lorsque celles-ci effectuent des soins relevant typiquement d’une profession de la santé, sans diplôme ou droit de pratique correspondant.
Les médecins et/ou collaboratrices concernés s’exposent dans un tel cas à des sanctions administratives, telles des avertissements, des blâmes ou des amendes (cf. art. 127 LS), voire, pour les premiers, à une limitation, un retrait ou une révocation de leur droit de pratique (cf. art. 128 al. 1 let. d LS). Les collaboratrices s’exposent au surplus à des poursuites pénales en application de l’art. 134 al. 1 let. d et e LS.
Sur un plan civil, et si un soin prodigué par l’une de ces collaboratrices venait à causer un dommage au patient, les médecins qui les emploient verraient en outre leur responsabilité engagée sur la base des art. 55 et 101 CO. Ils ne pourraient en effet pas se disculper en prouvant qu’ils ont fait preuve de toute la diligence requise dans la mesure où ils auront confié des tâches relevant de la profession d’assistante médicale à des personnes ne disposant pas du diplôme y afférent.
Dans ces conditions, nous ne pouvons donc que conseiller aux médecins concernés de régulariser la situation de leurs employées, soit en encourageant celles-ci, lorsqu’elles en remplissent les conditions, à requérir une autorisation de pratiquer idoine, soit en revoyant la répartition des tâches au sein de leurs cabinets médicaux.
Philippe Ducor, avocat
Genève, le 10 mars 2009