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Du corporatisme à l’abus de pouvoir de l’OFSP

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Nous vivons depuis quelques années une évolution de notre société et des structures de gouvernance qui nous soumettent à des obligations de plus en plus contraignantes et restrictives pour notre pratique ou pour les patients que nous soignons. L’exemple le plus flagrant est l’imposition récente par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) de l’obligation d’engager des physiciens médicaux dans les instituts pratiquant des examens à rayonnements ionisants pour assurer un contrôle des doses de radiations.

Le fait accompli
L’histoire commence avec l’introduction par l’OFSP en 2009 lors de la révision de l’ordonnance sur la radioprotection d’un nouvel article (art. 74) spécifiant que «Pour les applications en médecine nucléaire et en radiologie interventionnelle par radioscopie ainsi que pour la tomodensitométrie, le titulaire de l’autorisation doit faire appel périodiquement à un physicien». Cet article imposé sans consultation préalable se base sur des actions similaires entreprises par un lobby puissant des physiciens médicaux aux Etats-Unis et en Allemagne. Cette ordonnance, applicable dès janvier 2012, a motivé un courrier de l’OFSP à tous les directeurs d’hôpitaux leur demandant s’ils avaient pris les dispositions nécessaires pour l’appliquer. Dans ce courrier, il est fait mention d’un document édité par la Société suisse de de physique médicale qui donne des directives sur la dotation en physiciens médicaux. Ce document (Rapport n° 20), rédigé par un groupe de physiciens médicaux dont plusieurs sont des employés de l’OFSP, a fait l’objet d’une protestation de l’ensemble des spécialistes dans le domaine et des sociétés de radiologie, de médecine nucléaire, de techniciens en radiologie et de l’industrie.

Un groupe de travail dans l’impasse
Lors d’une réunion urgente sollicitée auprès de l’OFSP conjointement par les présidents des Sociétés suisses de radiologie et de médecine nucléaire, accompagnés de plusieurs chefs de services et de départements, il a été convenu de créer un groupe de travail multidisciplinaire qui devrait proposer des recommandations plus «adaptées» aux besoins réels. L’OFSP a accepté de coordonner et d’offrir le soutien technique et logistique pour les réunions de ce groupe à Berne mais sans intervention directe sur les décisions. Après constitution du groupe par délégation des différentes sociétés, la première réunion du groupe a eu lieu le 29 octobre 2010. J’y ai participé comme délégué de la Société suisse de médecine nucléaire et, lors de la première réunion, j’ai été élu comme président du groupe par les membres présents. Plusieurs réunions ont suivi avec une participation des différentes sociétés et un objectif commun de rédiger un document pouvant servir de recommandations à l’application de la nouvelle ordonnance. Neuf versions du document ont été successivement éditées avec un sentiment d’arriver progressivement à un consensus. C’est alors que, lors du vote final pour les dernières corrections effectuées par courriel, l’Association suisse des physiciens médicaux a unilatéralement refusé d’approuver le document sans explications. Devant ce refus, l’ensemble des autres membres du groupe qui avaient voté positivement proposaient de publier un rapport de majorité sans les physiciens qui pourraient alors de leur côté publier un rapport de minorité. C’est alors que l’OFSP a pris position pour les physiciens en s’opposant catégoriquement au document avec l’argument que les temps alloués pour les tâches de physiciens étaient insuffisants. Cette attitude inattendue de l’OFSP a provoqué un blocage complet du groupe de travail qui a amené les membres des Sociétés de radiologie et de médecine nucléaire de proposer de publier un document indépendant sans l’accord de l’OFSP.

Une dernière chance
Finalement, ne voulant pas terminer tous ces efforts sur une rupture, j’ai décidé de donner une dernière chance à la négociation et ai demandé à l’OFSP de nous soumettre une nouvelle version du document selon leurs chiffres et de convenir d’une dernière réunion de «conciliation» à Berne. Plusieurs semaines après, l’OFSP nous a remis une version (v.10) du document complètement modifiée dont plusieurs parties décrivant les tâches et activités des techniciens et de l’industrie avaient simplement été éliminées et avec une nouvelle grille de tâches et de temps devant être consacrés aux physiciens.

La réunion de la «dernière chance» a finalement eu lieu le 18 mai 2011 à Berne dans une ambiance assez tendue et une attitude assez agressive des représentants de l’OFSP. A ma demande, l’OFSP avait préparé une présentation expliquant en partie les raisons de leurs chiffres et des tâches proposées. Lors de cette réunion, nous avons convenu que nous publierons les chiffres proposés par l’OFSP en mentionnant que ce document ne représente pas un «consensus » mais un compromis du groupe qui accepte de publier les chiffres de l’OFSP. Ce document n’ayant aucune valeur juridique, il ne sert pas de recommandation pour l’application de la loi qui peut être sujette à discussion et à d’autres interprétations.

Un soutien au corporatisme…
Il est regrettable que tous ces efforts n’aient pas abouti à une meilleure entente entre les membres du groupe de travail et l’OFSP qui a renoncé à sa neutralité pour soutenir les revendications des physiciens et a par cette attitude clairement appuyé un corporatisme et une bataille d’arrière-garde basée sur la peur des effets néfastes des radiations.

…coûteux et dangereux
Il faut relever que dans le contexte médico-économique actuel où toute nouvelle stratégie thérapeutique doit être justifiée par des données objectives de coût-bénéfice, aucune étude n’a prouvé que les coûts supplémentaires des salaires de physiciens auraient un quelconque bénéfice ou diminueraient de manière objective les risques aux patients. Toutes ces propositions se basent sur l’hypothèse que les personnes responsables (médecins, techniciens, ingénieurs de l’industrie) ne font pas leur travail et qu’il faut engager un physicien pour les former et contrôler les tâches effectuées. Cette argumentation se base uniquement sur les observations d’une diversité des pratiques et ne tient absolument pas compte des différences de types d’équipements utilisés, de pratiques médicales et de types de cas cliniques pouvant nécessiter des protocoles différents. D’autre part, l’irradiation à laquelle nous soumettons le patient n’a pas du tout le même impact lorsqu’il s’agit de personnes en bonne santé avec une espérance de vie longue (exemple du dépistage) que dans le cas de personnes gravement malades ou âgées. Le risque actinique est alors faible et le bénéfice d’un diagnostic précis est alors majeur (ou les conséquences d’un diagnostic inapproprié sont graves). Dans une ère où les risques d’erreurs médicales font l’objet d’une attention toute particulière, car ils sont de plus en plus responsables de coûts et de risques augmentés, la précision d’un examen radiologique joue un rôle clé, et le risque d’altérer cette précision par des réductions inappropriées des paramètres d’irradiations est important. Il faut aussi relever que toutes les estimations des effets des rayonnements à faibles doses utilisés pour les examens diagnostiques ont très peu de bases scientifiques vérifiées et ne s’appuient que sur des extrapolations à partir des effets des fortes doses d’irradiation. Ces estimations sont basées sur un modèle de l’effet linéaire et sans seuil, alors que tous les systèmes biologiques ont un seuil de tolérance, y compris pour les infections.

Dans la plupart des recommandations des physiciens et de l’OFSP, les diminutions de doses ne tiennent pas compte de la détérioration de la qualité des examens qui en résulte. Seules des études approfondies et contrôlées sur les différentes générations d’appareillage pourraient déterminer les justes valeurs à appliquer. Ces études sont actuellement en cours dans de nombreux pays et les sociétés professionnelles sont activement impliquées pour passer les nouvelles recommandations.

La charrue avant les boeufs
Il est surtout inquiétant que l’OFSP n’ait pas adopté une position plus neutre et factuelle, et s’est malencontreusement placé dans une position défensive de la profession des physiciens dévoilant ainsi un véritable conflit d’intérêts. Cela met aussi l’OFSP dans une position d’opposition avec les sociétés professionnelles représentant l’ensemble de corps médical, des techniciens et de l’industrie. C’est donc résolument la connaissance des maladies qui prime et pas celle des effets des rayons. Or l’OFSP veut juste mettre la charrue avant les boeufs, en développant une politique ruineuse et inefficace, qui arrivera au mieux à priver certains malades de soins adéquats. Ne serait-il pas plus sage de laisser les médecins exercer la médecine et définir leurs propres règles sur des bases scientifiques…?

Vers une solution raisonnable ?
Une solution à cette divergence serait un rapprochement entre l’OFSP et les sociétés médicales et une implication plus grande du corps médical dans un effort conjoint de rationalisation et d’unification des protocoles et des procédures de contrôle de qualité. Un support renforcé de l’industrie peut également assurer une meilleure efficacité dans la mise en place de ces procédures à des coûts raisonnables. Enfin il est incontestable que le meilleur investissement est celui de la formation continue qui doit être organisée et renforcée par les sociétés professionnelles.
Professeur Osman Ratib
Chef du Département d’imagerie et des sciences de l’information médicale, Hôpitaux Universitaires de Genève

* Les avis exprimés dans cet article sont le reflet de l’opinion personnelle de l’auteur et n’impliquent aucunement les hôpitaux universitaires de Genève ou les sociétés professionnelles auxquelles il appartient. Les sous-titres sont de la rédaction.