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Le pacte diabolique avorté

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Cet article a plus d'un an, les informations pourraient être perimées.

Profitant des premiers départs en vacances, Santésuisse et H+, l’association faîtière des hôpitaux suisses, annonçaient le 6 juillet dernier par communiqué de presse avoir trouvé une entente concernant la livraison des données nécessaires au contrôle des factures. Or la même H+ signait un mois plus tôt un communiqué conjoint avec la FMH titrant «Pas de livraison systématique des données médicales aux caisses-maladie ». Quel cafouillage! Les HUG ont heureusement manifesté immédiatement leur opposition formelle à cet accord. L’épilogue est arrivé le 15 août sous forme d’un nouveau communiqué annonçant que les membres de H+ avaient rejeté cette convention à une majorité des trois quarts.

ll faut se pencher sur l’accord signé par les larrons Claude Ruey et Charles Favre (ils ont siégé ensemble durant huit ans au gouvernement vaudois), respectivement présidents de Santésuisse et de H+. Ses dispositions violent gravement la protection des données sans justification rationnelle comme le relève la FMH dans son argumentaire du 22 juillet1: «Elles sont contraires à la loi, inappropriées et disproportionnées.» Et si cette convention précise que l’hôpital est tenu d’informer le patient que des données seront transmises à l’assureur, il n’est pas prévu de préciser qu’il peut s’y opposer, ou plutôt qu’il peut demander que la transmission ne soit faite qu’au médecin-conseil.

Sans trop éveiller l’attention du lecteur, cette convention n’a d’autre but que l’obtention automatique par les assureurs de renseignements étendus au motif qu’ils sont nécessaires «à des fins de contrôle des factures et du caractère économique selon la LAMal». Or une vérification stricte du codage DRG n’est possible qu’en disposant de l’entier du dossier médical et c’est bien là le but inavoué des assureurs : posséder à vie le curriculum de santé de ses assurés. L’observateur attentif constatera en effet que les données transmises au médecin-conseil sont bien destinées à être conservées de manière durable selon les termes de cette convention.

Certes, les assureurs garantissent «que les informations médicales obtenues […] sont exclusivement utilisées à des fins de contrôle des factures et du caractère économique selon la LAMal». Mais ils définissent euxmêmes, en toute liberté, combien de temps ces données sont conservées et quels collaborateurs ont accès aux données non anonymisées. Le médecin-conseil peut également décider de la levée de la pseudonymisation des données qui lui sont confiées. Mais qu’importe puisque les données confidentielles devront de toute manière lui être transmises par l’intermédiaire de l’administration de l’assureur! En bref, c’est une carte blanche et il n’est pas difficile de comprendre que «le caractère économique selon LAMal» justifiera toute collecte de données aux fins de sélection des risques.

Ainsi les assureurs s’arrogent-ils des droits sur l’individu que l’Etat ne saurait obtenir sans soulever un tollé. Voilà un argument de plus pour défendre une séparation complète de l’assurance complémentaire (mobilisez-vous pour notre initiative, cf. p. 3), voire une caisse-maladie publique. Car le nouveau financement hospitalier imposera aux établissements privés de passer par les DRG pour obtenir la part de financement de l’Etat et plus personne n’échappera au fichier des diagnostics compilé par les assureurs LAMal. La boucle étant bouclée, le patient sera devenu totalement transparent à moins de se faire soigner à ses frais et… à l’étranger.

Le secret médical n’est pas un caprice de professionnels ravis de pouvoir cacher leurs actes. C’est un droit fondamental du patient qui mérite protection vis-à-vis de ceux qui ont un intérêt, notamment économique, à connaître son état de santé. Et le respect du secret est indispensable pour établir une relation médecin-patient de confiance. Qui plus est, l’intrusion des assureurs dans les décisions médicales, quel qu’en soit le prétexte, ne peut que radicaliser nos positions et affaiblir nos efforts vers une pratique médicale plus économique tout en restant intelligente et scientifiquement fondée. C’est là une des grandes erreurs de la LAMal: confier aux assureurs la surveillance des médecins.

Quant à la vérification des codages DRG, il ne faut pas rêver. Le contrôle le plus tatillon ne permettra pas d’économies durables sinon en incitant à un rationnement des soins. Il serait plus efficace de mentionner au bas de chaque décompte d’assurance les bonnes adresses pour «mourir dans la dignité»… Mais qui oserait?
Pierre-Alain Schneider

1 www.fmh.ch, politique et médias, prises de position de la FMH.