icône webmail sécurisé
Webmail
AMGe

Le médecin, l’enfant et ses parents

ligne
Cet article a plus d'un an, les informations pourraient être perimées.

Les médecins pédiatres, pédopsychiatres, généralistes internistes et autres spécialistes sont fréquemment amenés à traiter des patients mineurs, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adolescents.
Lors de toute relation thérapeutique, le médecin doit respecter les règles visant à protéger la personnalité du patient et à renforcer la relation de confiance entre le médecin et le patient. Le médecin doit en particulier recueillir le consentement éclairé du patient pour tout acte médical, lui donner accès à son dossier médical et lui assurer en tout temps la confidentialité découlant du secret médical.
Lorsque le patient est mineur, l’application de ces règles pose des difficultés particulières. Le médecin doit en particulier connaître les droits que le mineur peut exercer seul, et ceux qui requièrent l’intervention de ses parents. L’attribution conjointe ou séparée de l’autorité parentale doit également être prise en compte.
Le but du présent article est de fournir au médecin des recommandations quant à l’attitude à adopter au quotidien envers les patients mineurs et leurs parents, dans le respect des prescriptions légales.

1. Notions juridiques utiles

1.1 Majorité – minorité
En droit suisse, la majorité est fixée à 18 ans révolus. Elle donne droit à l’exercice des droits civils, c’est-à-dire à la capacité d’acquérir et de s’obliger.
Avant l’âge de la majorité, la personne mineure a certes la jouissance des droits civils, mais elle est privée de l’exercice des droits civils (art. 17 CC). Lorsqu’elle est capable de discernement, la personne mineure peut toutefois exercer de manière autonome ses droits strictement personnels (art. 19c, al 1 CC). Ces droits sont intimement liés à la personnalité et il est apparu approprié au législateur qu’ils puissent être exercés personnellement par toute personne capable de discernement, y compris mineure. De nombreuses prérogatives du patient sont des droits strictement personnels, en particulier le droit de consentir à l’acte médical, le droit d’accéder au dossier médical et le droit de lever le secret médical.
1.2 Représentant légal
Le pouvoir de représenter une personne mineure appartient à son représentant légal. Les père et mère sont, dans la limite de leur autorité parentale, les représentants légaux de leurs enfants mineurs (art. 304, al. 1 CC)1.
1.3 Autorité parentale
Selon les circonstances, l’autorité parentale peut être conjointe (c’est-à-dire exercée en commun par les deux parents), ou attribuée à un seul des parents.
Le but de l’institution de l’autorité parentale étant de servir le bien de l’enfant, les parents exercent en principe l’autorité parentale conjointement sur leur enfant mineur. Le statut marital des parents – mariés, séparés de corps, divorcés ou non mariés – n’est pas déterminant pour cette question.
L’autorité parentale peut toutefois n’être attribuée qu’à un seul des parents lorsque le bien de l’enfant le commande. Cela peut être le cas notamment en cas de divorce, ou lorsque des parents non mariés n’ont pas déclaré leur volonté d’exercer l’autorité parentale de façon conjointe.
En conséquence, l’enfant mineur incapable de discernement sous autorité parentale peut avoir deux représentants légaux en cas d’autorité parentale conjointe, ce qui sera la situation la plus fréquente, ou un seul représentant légal en cas d’autorité parentale séparée.
1.4 Capacité de discernement
La capacité de discernement comprend (i) la faculté de comprendre et d’apprécier correctement la situation (aptitude cognitive) et (ii) l’aptitude à agir en fonction de sa volonté (aptitude volitive). À défaut de remplir ces deux conditions cumulatives, le mineur est considéré comme incapable de discernement.
Le droit suisse ne fixe pas de limite d’âge à partir duquel le mineur est censé avoir la capacité de discernement. On admet toutefois que, entre 12 et 16 ans, la capacité de discernement doit être progressivement admise en fonction du développement individuel de l’enfant, de la nature des soins considérés et des autres circonstances d’espèce.
En pratique, il est important pour le médecin de déterminer si son patient mineur dispose ou non de la capacité de discernement en relation avec l’acte considéré. En effet, l’attitude qu’il adoptera envers les parents du patient mineur dépendra de la réponse à cette question.

2. Mineur capable de discernement

En matière médicale, la situation du mineur capable de discernement est très proche de celle d’un patient adulte: il est seul habilité à exercer ses droits strictement personnels.
Le mineur capable de discernement exerce dès lors seul son droit à consentir à l’acte médical, sans que ses parents ne puissent interférer dans sa décision. Il a seul accès à son dossier médical, le médecin étant tenu au secret médical à l’égard des parents2. Enfin, le mineur capable de discernement est seul habilité à délier le médecin du secret médical, que ce soit à l’égard de tiers ou à l’égard de ses parents.

3. Mineur incapable de discernement

Selon l’art. 18 CC, les actes du mineur incapable de discernement n’ont aucun effet juridique. Cela vaut également pour les droits strictement personnels, dont font partie de nombreuses décisions en matière médicale.
Les père et mère sont ainsi, dans la limite de leur autorité parentale, les représentants légaux de leurs enfants mineurs incapables de discernement (art. 304, al. 1 CC). Il convient dès lors de déterminer le rôle et les prérogatives des parents selon qu’ils exercent l’autorité parentale conjointement ou de façon séparée. Cette question sera successivement examinée pour les décisions en matière médicale suivantes, lorsqu’elles doivent être exercées pour le compte d’un enfant mineur incapable de discernement: consentement éclairé à l’acte médical, accès au dossier médical et levée du secret médical.
3.1 Consentement éclairé
Le médecin doit recueillir le consentement éclairé relatif à un acte médical pratiqué sur un mineur incapable de discernement auprès de son représentant légal. De nos jours, le pouvoir de représentation du représentant légal en matière de consentement éclairé ne signifie pas que la personne incapable de discernement n’est pas impliquée. Il convient en effet d’associer autant que possible la personne incapable de discernement à toute prise de décision la concernant.
3.1.1 Autorité parentale conjointe
Lorsque les parents exercent l’autorité parentale en commun, ils sont à l’égard des tiers les représentants légaux de l’enfant mineur incapable de discernement. Il leur appartient ainsi de consentir à tout acte médical sur l’enfant, tout en tenant compte autant que possible de son avis.
Les tiers de bonne foi – en particulier le médecin – peuvent présumer que lorsque les parents détiennent l’autorité parentale en commun, chaque parent agit avec le consentement de l’autre. Dès lors, le consentement à l’acte médical donné par l’un des parents sera censé avoir été donné avec l’accord de l’autre parent. Cette présomption légale n’est à l’évidence pas applicable en cas de désaccord patent entre les parents, par exemple parce qu’ils sont actuellement en procédure de divorce ou pour tout autre motif reconnaissable par le médecin. Par ailleurs, la présomption légale ne vaut pas davantage pour des actes graves ou inhabituels. Elle ne s’applique notamment pas pour une intervention chirurgicale non urgente, ni pour une intervention inhabituelle telle la participation d’un enfant incapable de discernement à un projet de recherche sur l’être humain.
Lorsque la présomption légale n’est pas applicable, pour quelque raison que ce soit, le médecin est tenu de recueillir le consentement éclairé des deux parents de l’enfant incapable de discernement. S’ils ne parviennent pas à s’entendre, il appartient alors à l’autorité de protection de l’enfant de prendre les mesures nécessaires pour protéger l’enfant, en particulier de consentir à un acte médical nécessaire.
3.1.2 Autorité parentale séparée
Dans certaines circonstances, l’autorité parentale peut n’être attribuée qu’à un seul des parents (ci-dessus 1.3). Conformément au principe selon lequel l’autorité parentale doit servir le bien de l’enfant, l’autorité parentale séparée n’est prévue que lorsque le bien de l’enfant le commande.
Dans cette hypothèse, le consentement éclairé à l’acte médical pratiqué sur l’enfant mineur incapable de discernement doit être donné par le parent détenteur de l’autorité parentale, lequel doit tenir compte autant que possible de l’avis de l’enfant. L’autre parent n’a aucun droit en relation avec le consentement éclairé au traitement médical de son enfant, sous réserve de son droit d’être informé (ci-dessous 3.2.2).
3.2 Accès au dossier médical
Pour pouvoir consentir ou s’opposer valablement à un acte médical, le patient doit avoir pleinement connaissance des éléments qui conduiront à sa prise de décision, en particulier le genre et les risques du traitement envisagé. On parle de consentement éclairé. Les renseignements sur l’état de santé du patient sont pour l’essentiel consignés dans son dossier médical. L’accès à ce document constitue dès lors une source d’information, complémentaire au dialogue indispensable avec le médecin, permettant au patient de donner son consentement éclairé à l’acte médical.
Le dossier médical constitue un fichier au sens du droit de la protection des données, contenant des données sensibles. L’accès au dossier doit être garanti au patient, lequel est habilité à consulter son dossier sans avoir à justifier d’un intérêt quelconque.
Le représentant légal d’un mineur incapable de discernement peut avoir accès au dossier médical afin de sauvegarder les intérêts du mineur. Conformément au principe de la proportionnalité, seules les données nécessaires à la défense des intérêts du patient seront accessibles au représentant légal.
3.2.1 Autorité parentale conjointe
Lorsque les parents exercent l’autorité parentale en commun, ils sont, à l’égard des tiers, les représentants légaux de leur enfant mineur incapable de discernement.
À notre sens, l’accès au dossier médical doit être accordé à chacun des parents codétenteurs de l’autorité parentale, même s’ils sont en conflit. En effet, les deux parents doivent avoir un droit à l’information au moins équivalent à celui dont bénéficie le parent qui n’est pas détenteur en cas d’autorité parentale séparée. Or, ce dernier peut recueillir des informations de nature médicale auprès du médecin (ci-dessous 3.2.2). Conformément à l’adage «qui peut le plus peut le moins», il paraît logique que les parents codétenteurs de l’autorité parentale aient un accès équivalent au dossier médical de leur enfant mineur incapable de discernement.
3.2.2 Autorité parentale séparée
Lorsqu’un seul des parents exerce l’autorité parentale, il est le seul représentant légal de l’enfant. L’accès au dossier médical doit ainsi lui être accordé à ce titre.
Le parent qui ne détient par l’autorité parentale n’est toutefois pas démuni. Selon l’art. 275a, al. 2 CC, il peut, tout comme le détenteur de l’autorité parentale, recueillir auprès de tiers qui participent à la prise en charge de l’enfant, notamment auprès du médecin, des renseignements sur son état et son développement. Selon la doctrine, ce droit à l’information est aussi large que celui du parent détenteur de l’autorité parentale. Le parent qui ne détient par l’autorité parentale aura dès lors accès au dossier médical dans la même mesure que le parent détenteur de l’autorité parentale.
L’art. 275a, al. 2 CC en faveur du parent non détenteur de l’autorité parentale entre clairement en conflit avec le secret médical. L’art. 275a, al. 2 CC prime toutefois sur l’art. 321 CP lorsque l’enfant mineur est incapable de discernement, et le parent qui n’est pas détenteur de l’autorité parentale a ainsi accès aux informations médicales en dépit du secret médical.
3.3 Droit de lever le secret médical
Dans l’exercice de son activité professionnelle, le médecin est tenu au secret médical à l’égard de tous ses patients, y compris les mineurs incapables de discernement. Le secret médical est protégé, directement ou indirectement, par de nombreuses normes légales.
La violation du secret médical est sanctionnée pénalement, en particulier par l’art. 321 CP. La divulgation n’est toutefois pas punissable si elle a été autorisée par l’autorité supérieure ou de surveillance, ou par l’intéressé. On parle alors de levée du secret médical.
Le patient est le maître et le bénéficiaire du secret médical. Par son accord, il autorise le médecin à divulguer le secret, sans toutefois que ce dernier soit obligé de le faire. La levée du secret doit porter sur des informations déterminées, en vue d’une divulgation à une personne particulière, et dans un but particulier. Si le médecin décide de s’exprimer, il doit le faire en respectant le principe de proportionnalité.
Le consentement à la divulgation de données personnelles, dont la levée du secret médical est un exemple, est un droit strictement personnel sujet à représentation. Le représentant légal d’un mineur incapable de discernement est ainsi habilité à exercer ce droit pour le compte de l’intéressé. Il ne déliera toutefois le médecin que si cette communication sert l’intérêt de l’incapable de discernement.
3.3.1 Autorité parentale conjointe
Les parents qui exercent l’autorité parentale en commun sont habilités à délier le médecin de son secret médical. Conformément à la présomption légale de l’art. 304, al. 2 CC, le parent qui délie le médecin est présumé agir avec le consentement de l’autre parent détenteur de l’autorité parentale conjointe. En cas de mésentente patente entre les parents, ou lorsque la levée du secret médical revêt une importance particulière en raison de la nature des faits à divulguer, la présomption de l’art. 304, al. 2 CC ne s’applique toutefois pas. Le médecin devra alors obtenir la levée du secret des deux parents détenteurs de l’autorité parentale.
3.3.2 Autorité parentale séparée
Il appartient au parent détenteur exclusif de l’autorité parentale de délier le médecin de son secret médical concernant le mineur incapable de discernement.

4. Conclusion

Le médecin confronté à un patient mineur doit en premier lieu déterminer si ce dernier est capable de discernement.
En effet, un patient mineur capable de discernement doit être considéré de la même manière qu’un patient majeur pour les questions médicales, telles le consentement éclairé, l’accès au dossier et la levée du secret médical. A l’instar d’un adulte, le patient mineur capable de discernement décide seul de ces questions, sans la participation ni l’information de ses parents.
Si le patient mineur est incapable de discernement, son ou ses parent(s) détenteur(s) de l’autorité parentale est (sont) habilité(s) à agir à sa place pour les questions médicales mentionnées ci-dessus. Il convient dès lors de se renseigner si celle-ci est exercée en commun par les parents, ou par un seul d’entre eux. En cas d’autorité parentale conjointe, un parent est présumé agir avec le consentement de l’autre parent, sauf s’il ressort des circonstances que tel n’est possiblement pas le cas. En cas d’autorité parentale séparée, le parent détenteur de l’autorité parentale est seul habilité à représenter le mineur incapable de discernement en matière de consentement éclairé, d’accès au dossier et de levée du secret médical. Le parent non détenteur de l’autorité parentale est toutefois habilité à recueillir des informations de nature médicale auprès du médecin. Selon la doctrine, ce droit à l’information est aussi étendu que celui du parent détenteur de l’autorité parentale.
Prof. Philippe Ducor
Avocat conseil de l’AMG
 1 La situation des personnes mineures qui ne sont pas sous autorité parentale et doivent être pourvues d’un tuteur ne sera pas traitée dans le cadre du présent article.
2 Ce point est important dans certaines situations, telle la prescription de contraceptifs ou l’interruption de grossesse chez la femme mineure, certains traitements psychiatriques ou l’envoi au domicile familial de
rapports médicaux, voire de factures.