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Homo homini lupus

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«L’homme est un loup pour l’homme.» La citation est de Plaute, un auteur latin né en 254 avant Jésus-Christ. L’empire romain a connu de nombreux monstres, et même des empereurs despotiques et sanguinaires. L’histoire ne finit pas de voir défiler des crimes contre l’humanité. Sans grand effort de mémoire,vous pourrez certainement citer une multitude de noms. Et ne nous y trompons pas, nos mécanismes démocratiques ne nous mettent pas à l’abri d’habiles populistes capables de nous mystifier.
Autant l’esprit humain permet des choses extraordinaires, autant il peut dériver dangereusement et de manière peu prévisible. A fortiori lorsqu’il s’agit de grands pervers incapables d’avoir un regard critique sur la monstruosité de leur geste. La solution paraît pourtant simple lorsqu’il s’agit d’individus isolés que l’on peut écarter de la société par une peine de privation de liberté ou par une mesure d’internement. La première constitue une punition que chacun considère comme appropriée, en admettant que le pire criminel doit avoir l’espoir de revenir à une vie normale. La seconde est plus dérangeante, car elle ne devrait concerner que des individus irrécupérables. On aimerait être certain que la personne interné est dangereuse à vie. Or, même les médecins habitués à décrypter les comportements comme les experts psychiatres ne pourront que très rarement affirmer une dangerosité à vie.
Se convaincre qu’un individu est dangereux est facile quand il a commis un grave crime. Qu’il le reste à tout jamais est bien plus difficile ou impossible à juger, surtout quand il se comporte bien. Mais un psychopathe incapable d’apprécier la gravité de ses actes est un peu comme une centrale nucléaire capable à tout moment d’échapper au contrôle de techniciens peu qualifiés. C’est dire l’importance de mettre en place et d’appliquer des procédures de sécurité rigoureuses, de faire appel à des experts de haut vol et de pécher par excès de prudence plutôt que l’inverse. Tchernobyl et Fukushima nous l’ont appris.
Les drames d’ Adeline et de Marie devraient nous amener aux mêmes conclusions et c’est ce qu’attendent nos citoyens. Mais après avoir présenté ses excuses pour les manquements graves relevés dans la gestion de la sécurité concernant un détenu qui a su mettre son monde en confiance, le Conseil d’Etat a imposé une mesure qui fait sourire: faire obligation aux médecins traitant ces détenus d’informer le département ou la direction de l’établissement «de tout fait dont ils ont connaissance et qui serait de nature à faire craindre pour la sécurité…»: comme si le médecin et les autres thérapeutes, tous non experts de la dangerosité, étaient en mesure de prévoir le comportement de leur patient! La victime genevoise n’était-elle pas précisément une thérapeute?
Lorsque le Grand Conseil vote cette loi avec une mince majorité de deux voix, on ne sourit plus, car on réalise qu’il s’agit d’une mesure qui va au contraire entacher la relation des médecins carcéraux avec les détenus.Ils ne parleront plus, sachant que tout propos pouvant trahir une pulsion interne pourra se retourner contre eux. Plus grave, les autorités de détention pourront se reposer sur une illusion de sécurité, puisque les médecins seront censés tout leur dire sous peine d’être sanctionnés. Au pire, elles réitéreront les erreurs passées et négligeront les expertises indispensables avant d’alléger le régime à un détenu qui a fait la preuve de sa dangerosité.
Voilà un bel exemple d’écran de fumée politique et d’amateurisme. Ce qu’il faut, c’est une application rigoureuse des mesures de détention en considérant jusqu’à preuve établie du contraire que ces personnes restent hautement dangereuses. Il faut aussi pouvoir prononcer une mesure d’internement d’une durée in-déterminée jusqu’à certitude acquise que le risque de récidive est acceptable. Il y a des situations dans lesquelles les demi-mesures, la tolérance et l’amateurisme n’ont pas leur place. Il en va de vies humaines.

Pierre-Alain Schneider
Ancien président de l’AMG